mardi 14 septembre 2010

virgin suicides de sofia coppola

No one could understand how Mrs. Lisbon and Mr. Lisbon, our math teacher, could produce such beautiful creatures
(Personne ne comprenait comment madame Lisbon et monsieur Lisbon, notre professeur de mathématiques, avaient pu engendrer des créatures aussi belles)



Dans l'état du Michigan, en 1974, les cinq filles Lisbon, Cécilia, Lux, Bonnie, Mary, et Thérèse, alimentent les fantasmes de leurs voisins, qui ne pourront jamais les oublier, même des années après leurs suicides.
Au cours de l'été, Cécilia, la plus jeune des filles Lisbon, âgée de treize ans, tente de se suicider, en se tailladant les veines dans son bain. L'affaire ébranle le quartier, les jeunes voisins, et également la famille, que ce soit madame Lisbon ou les autres filles.
Suivant les conseils d'un psychiatre, les Lisbon permettent à leurs filles d'organiser la seule et unique fête de leurs courtes vies, au cours de laquelle Cécilia réussit enfin à se suicider. A partir de ce moment, tout prend une direction inexorablement funeste pour les quatre filles restantes, couvées et surprotégées par leur mère, véritable monstre d'autorité et de rigidité.
En même temps que tout commence à foutre le camp, Lux fait la rencontre de Trip Fontaine, le bellâtre de l'école qui tente tout pour la séduire.

Qu'est-ce qu'être adolescent? Éprouver du désir, le besoin de s'évader, d'enlever un certain mal-être qui siège en soi, de jongler entre le sexe, l'amour, l'obsession, la peur, la mort?
Virgin Suicides est un des meilleurs films sur les adolescents, ne présentant pas le côté « cul-cul » de la chose, mais privilégiant une approche remplie de mystères, sans prétention d'expliquer ou de comprendre ce qui se passe réellement dans leur tête, en effleurant des possibilités de réponse, en se contentant de montrer des faits.
Avant d'être un scénario écrit par Sofia – la fille de – Coppola, il s'agissait d'un roman de Jeffrey Eugenides, qui décrivait l'histoire d'un narrateur, visiblement toujours sous le charme de cinq filles dont il n'a jamais pu expliquer les suicides.
Comme il est très tôt suggéré dans le livre, ainsi que dans le film (qui est très fidèle au roman), le narrateur et ses amis, les voisins des soeurs Lisbon, n'ont pas pu faire une croix sur les filles, même vingt ans après leurs décès. Dès qu'ils se croisent, ils essayent encore d'assembler les pièces du puzzle, en se souvenant de ce qu'ils ont vu, des objets qu'ils ont collectés, etc. L'obsession dont ils ont été victimes, alors adolescents, subsiste toujours à l'âge adulte.
Il s'agit d'un amour d'adolescent qui résiste à tout, même au temps.

Les soeurs Lisbon n'ont physiquement pas résisté au temps. Le titre du film, le ton même de l'histoire est indicateur du fait qu'il est inévitable que les jeunes filles devront toutes mourir, jeunes et belles, parce qu'aussi non, il n'y aurait pas une telle obsession autour d'elles plus tard, dans l'esprit de leurs voisins. Leurs suicides deviennent un mythe collectif, comme l'histoire de Marilyn Monroe, ou encore de Laura Palmer dans Twin Peaks.
S'il faut évoquer Laura Palmer, autant dire que c'est à cause de Lux. Lux, à quatorze ans, est interprétée par Kirsten Dunst, jouant avec malice, sensualité. L'adolescente est l'âme du livre, du film : on ne parle que d'elle. Tout est prétexte au sourire mi-ange mi-démon de Lux, à sa fossette adorable, à son malaise intérieur qui devient grandissant au fur et à mesure du dénouement de cette tragique histoire de famille. Comme l'icône de Twin Peaks, Lux est une énigme, une équation à deux inconnues, dont on ne comprend pas toujours les faits et gestes. Elle fait croire que non, que oui, que peut-être, elle se joue des uns et des autres. Lux est aussi, comme Laura Palmer, une adolescente à la sexualité débridée. Elle change de partenaire aussi vite que son ombre, est très portée sur « la chose », et, d'ailleurs, contraste particulièrement avec ses soeurs sur ce point, car, ses aînées sont plus sages.



Le suicide de Cécilia, au début de l'histoire, influence particulièrement madame Lisbon, qui, agit avec une poigne de fer sur ses quatre filles, les rendant cafardeuses, alors qu'elle sombre elle-même dans une dépression extrêmement grave. On pourrait pardonner à madame Lisbon la décision qu'elle prend envers ses filles, dans le dernier tiers du film, mais pourtant, quelque chose nous en empêche. Sa réponse démesurée envers une bourde de Lux enferme les quatre adolescentes dans un ennui, une douleur paroxystique qui mène à l'acte suprême de sabotage de leurs propres vies, si on peut dire qu'elles ont encore un semblant de vie. C'est madame Lisbon qui pousse, sans le vouloir, ses filles au suicide.

La légende veut que Sofia Coppola ait adoré le livre de Jeffrey Eugenides au point de demander à son père d'acheter les droits du bouquin. Même en s'appelant Francis Ford Coppola, papa n'a pas pu acheter ce que Sofia convoitait tant. Malgré ce bémol, Sofia Coppola s'est attelée à la rédaction du scénario de Virgin Suicides – même si son père lui répétait qu'elle ne pouvait se faire que du mal, que ça ne servait à rien – et l'a présenté finalement aux gens en possession des droits. Véritablement enthousiasmés par ce scénario fidèle, intelligent, ces derniers lui ont permis de réaliser son premier film, Virgin Suicides, en 1999.
Sofia Coppola, issue d'une des plus puissantes familles d'Hollywood, a pu compter sur son père pendant quelques jours du tournage pour des conseils techniques. Le frère de la réalisatrice, Roman, est venu l'aider pour la réalisation, et enfin, divers membres de sa famille, ses cousins principalement, sont venus donner un coup de main que ce soit pour jouer, ou entraîner les acteurs.
A noter : une amie de Sofia Coppola, Leslie Hayman, joue le rôle d'une des filles Lisbon.



Le casting de Virgin Suicides est alléchant : James Woods devient monsieur Lisbon, un prof de math effacé qui vit dans son monde, pour éviter sans doute l'oppression de sa femme, madame Lisbon est campée par la tyrannique Kathleen Turner, qui, devient la mère étouffante des jeunes filles. Les adolescentes sont interprétées par Hanna R. Hall pour Cécilia (elle jouait Jenny enfant dans Forrest Gump), Kirsten Dunst pour Lux, Chelse Swain pour Bonnie (la soeur de Dominique Swain, qui jouait Lolita dans la version de 1997), A. J. Cook pour Mary (elle joue dans la série Esprits Criminels), et finalement, Leslie Hayman dans le rôle de Thérèse (son seul rôle au cinéma). Josh Hartnett, alors presque inconnu à l'époque du tournage, est Trip Fontaine, le joli coeur de ses dames, fou amoureux de Lux. Les voisins des filles sont joués par notamment Jonathan Tucker, Robert Schwartzman (le cousin de Sofia Coppola). Giovanni Ribisi prête sa voix au narrateur.
Ce casting se révèle extrêmement efficace pour faire croire au spectateur à l'histoire qui se tisse sous ses yeux. Les quatre filles étincellent même dans leur noirceur, au point, qu'au final, on est transporté par leurs sourires, leur bonheur éphémère à un moment du film.

Ce premier film de Sofia Coppola est bourré de poésie, d'émotions. Il se déguste parfaitement, ne tombe jamais dans le cliché, ni d'ailleurs dans le mélodramatique. Il regorge d'instants volés (puisque le film est raconté du point de vue d'un narrateur, d'une personne externe), d'indices, de pièces du puzzle, malheureusement incomplètes. La musique originale du film, signée par le groupe Air, oscille entre le sinistre, l'affectif, la mélancolie, et les passions adolescentes qu'on aimerait revivre un instant. Coppola a elle-même sélectionné les chansons des années septante qui figurent sur le deuxième cd.
Attention, le risque de tomber sous le charme de Virgin Suicides est extrêmement grand.

Doctor: What are you doing here, honey? You're not even old enough to know how bad life gets.
Cécilia: Obviously, Doctor, you've never been a 13-year-old girl

(« Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu n'es pas encore assez âgée pour savoir à quel point la vie peut devenir horrible »
« Manifestement, docteur, vous n'avez jamais été une fille de treize ans »)