jeudi 23 décembre 2010

Cinéma Royal Part I

(The Tudors, saison trois)

J'inaugure une nouvelle thématique – influencée par mon goût pour l'Histoire – concernant la représentation de la royauté au cinéma depuis ces dernières dix années : pour la première partie, nous explorerons le portrait du célèbre Henry VIII en passant par la série The Tudors et le film The Other Boleyn Girl. La deuxième partie se centrera sur les deux films dépeignant la reine Elizabeth I (la fille du roi Henri VIII pour ceux qui ont du mal à suivre), tandis que la troisième partie sera sur le film The Young Victoria. Enfin, la quatrième partie parlera du film Marie-Antoinette, pour la représentation franco-autrichienne.

Pour ceux qui ont séché les cours d'Histoire :

La situation politique de l'Angleterre, avant le règne d'Henry VII, ressemblait à un casse-tête chinois : la guerre des Deux Roses (une histoire de succession au trône) ne prit fin qu'en 1485, année où le père d'HenryVIII, appelé très sobrement Henry VII, triompha à la bataille de Bosworth Field contre Richard III. Après cette victoire, l'ère des souverains Tudors débuta (elle se termine avec le décès d' Elizabeth I en 1603).
Henry VIII n'était pas promis au destin de roi : son frère aîné, Arthur (sans table ronde) devait porter la couronne ; la vie en décida autrement puisqu'Arthur décéda en 1502, alors que son père Henry VII régnait toujours. Le roi demanda au Pape une exemption pour que Catherine d'Aragon – qui se déclarait toujours vierge -, la veuve d'Arthur, puisse épouser le nouveau promis au trône, Henry VIII.
Henry VIII devint roi à dix-huit ans, en 1509.
Des six mariages qu'Henry contracta, il eut seulement trois héritiers (qui montèrent tous sur le trône) : Mary I, Elizabeth I, et Edward VI.

Que retient-on du règne d'Henry VIII?

Aujourd'hui, le nom du monarque renvoie inéluctablement à ses six épouses dont deux furent, sous ses ordres, décapitées.
En dehors de cette tendance à se marier à tort et à travers, il s'agit d'un des règnes les plus sanguinolents : nombreux furent les sujets accusés de « haute trahison » (et ici, haute trahison est synonyme de décapitation, de bûcher, de pendaison, de torture et même pire). Tout ceci se passait bien sûr à la Tour de Londres (Tower of London), l'antre du massacre politique; parmi les plus célèbres victimes du règne d'Henry Tudor, on peut citer ses deux femmes, Anne Boleyn et Catherine Howard, l'humaniste Thomas More, Thomas Cromwell (qui fut ministre du roi pendant presque dix ans), etc.
Henry VIII est peut-être un des rois les plus notoires, mais pas pour de bonnes raisons : au moment de son décès, ses caprices avaient réussi à faire de l'Angleterre un cavalier solitaire (puisque le roi avait été excommunié par Rome, suite à son divorce avec Catherine d'Aragon pour épouser Anne Boleyn) du point de vue religieux, et sa mégalomanie égoïste avait ruiné le pays.
Pour l'anecdote, la vie sentimentale d'Henry VIII a inspiré le conte sanglant « Barbe Bleue ».

The Tudors – une série haute en couleurs

Michael Hirst est un nom qui ne devrait pas vous être inconnu si vous aimez les films sur l'Histoire d'Angleterre : il est le créateur de la série des Tudors, mais avant cela, jouissait d'une réputation dans l'écriture de scénarios de films historiques comme Elizabeth (1998) ou Elizabeth : the Golden Age (2007). Le but de la série est de dresser un portrait d'Henry VIII, en allant de sa rencontre avec Anne Boleyn en 1525, jusqu'à sa mort en 1547. Décrivant les histoires sentimentales d'Henry, la décadence de la cour, la situation politique internationale, et bien sûr, les guerres de religion ; en plus d'avoir un aperçu sur la vie du monarque, c'est un véritable diaporama de l'époque des Tudors qui se déploie sous les yeux du spectateur.
Les costumes, les décors ont été conçus avec un soin particulier du détail, pour sembler plus réalistes, crédibles.
The Tudors se compose de quatre saisons, trente-huit épisodes d'en moyenne cinquante minutes : c'est une série longue, qui a demandé d'importants moyens. Outre son budget conséquent digne de la production d'un film (ou même plusieurs), la série se targue de son casting alléchant notamment composé de Jonathan Rhys-Meyers (Henry VIII), Henry Cavill (Charles Brandon, duc de Suffolk), Callum Blue (Sir Anthony Knivert), Jeremy Northam (Thomas More), Sam Neill (Cardinal Wolsey), Peter O'Toole (le Pape Paul III), Alan Van Sprang (Sir Francis Bryan), etc.

Comment Henry VIII est-il décrit dans la série?

Sa psychologie s'empire, au fur et à mesure des saisons. Dès la première saison, le mot d'ordre est donné : Henry VIII a un foutu caractère, est capricieux, et profite bien de sa position dans la société. Il ne « visite plus la couche » de sa femme Catherine d'Aragon qui lui est entièrement dévouée, et partage son temps entre la chasse et la drague intempestive dirons-nous. Sa politique internationale est gérée par le cardinal Wolsey, et le roi a beaucoup de mal à accepter de faire la paix avec l'Empereur (le neveu de sa femme), et François I.
Henri VIII manigance son premier divorce parce qu'il désire faire des galipettes et avoir des enfants légitimes – un héritier mâle - avec Anne Boleyn et évince donc Catherine d'Aragon en tirant la langue à Rome. La réforme religieuse peut donc commencer, et l'entourage du monarque se fait protestant. L'Angleterre entre dans une phase d'instabilité générale, rythmée par les différentes épouses du roi, ses différents conseillers, et sa peur de vieillir, de mourir sans une descendance masculine.
La série évoque aussi le caractère versatile des relations que les gens de la cour entretiennent : un jour ils s'aident, le lendemain ils se tirent dans les pattes. Le roi est bien évident pareil : il agit souvent par hypocrisie, et par intérêt, il change d'avis comme de chemise en matière de politique internationale, en fonction de ce que les français et les espagnols font.
Pour témoigner d'un point de vue « privé » de cette nature lunatique, il suffit d'observer comment Henry VIII agit vis-à-vis de ses deux filles, Mary (aka Bloody Mary, fille de Catherine d'Aragon), et Elizabeth (aka The Virgin Queen, fille d'Anne Boleyn) : il les traite en princesses royales, les répudie, ne leur verse plus rien, puis les rappelle à la cour.
On pourrait résumer l'esprit du roi en ces quelques mots : il s'aime, il se considère comme digne, et ne tolère pas qu'on le salisse, même d'une éclaboussure microscopique et involontaire.

De quoi parle le film « The Other Boleyn Girl »?

Contrairement à la série the Tudors qui parle d'une grande partie de la vie d'Henry VIII, The Other Boleyn Girl se centre sur un passage de la vie de l'illustre roi, et même plutôt d'un passage des vies d'Anne et de Mary Boleyn, respectivement sa femme et sa maîtresse.
Le film raconte comment Mary et Anne Boleyn se sont disputées les faveurs du roi ; alors qu'au début de l'histoire, Mary devient la maîtresse du roi et agit de façon discrète, Anne est en France. Quand Anne apparaît à la cour anglaise, elle subjugue par son esprit, son physique et son charme Henri VIII qui tombe fou amoureux d'elle, au point de rompre toute relation avec sa soeur, Mary (qui vient de mettre au monde un fils, conçu sur la couche du roi) et de mettre l'Angleterre à feu et à sang en se détachant de Rome.

Est-ce historiquement valable?

En grande partie, non. The Other Boleyn Girl est d'abord un livre de Phillipa Gregory, très romancé : la rencontre entre Anne et Henry VIII ne s'est pas passée du tout comme dans le livre, et le portrait de Mary Boleyn n'est certes pas très ressemblant à celui dont les historiens parlent.
Il semblerait qu'en effet, Henry VIII ait usé sa royale couche avec Mary, mais contrairement à ce que le film laisse croire, la jeune femme était loin d'être innocente : toute la cour française, et même François I himself, étaient déjà montés sur la jeune anglaise.
Henry VIII, dans le film, est interprété par le séduisant Eric Bana, qui arrive tout à fait à convaincre de son poste royal. Néanmoins, en comparaison avec le Henry VIII de la série, celui du film fait pâle figure : il est terne et extrêmement malléable. A l'époque d'Henry VIII, certains ont pu tirer les ficelles du royaume, comme par exemple, la famille Boleyn, qui a influencé le roi, bien que celui-ci a toujours eu le dernier mot.
Un Henry VIII bien faible comparé à celui de la réalité, une Anne Boleyn jouée par une Nathalie Portman très orgueilleuse, une Mary Boleyn souillée d'inutilité et de niaiserie par une Scarlett Johansson pathétique: voilà le résumé de ce film, inégal, certes esthétiquement beau mais scénaristiquement à chier. Le majeur problème de The Other Boleyn Girl n'est finalement pas son casting féminin décevant (sauf Kristin Scott Thomas), ni son manque de véracité historique, mais le rythme avec lequel les évènements se succèdent : on insiste sur les fadaises sentimentales, et on éclipse complètement le bordel socio-politique qui découla de la décision du roi d'envoyer Rome se faire enculer par un baobab. C'est donc pour cela que le spectateur non-averti ne pigera pas pourquoi Henry VIII adopte vers la fin du film une gueule de prisonnier de goulag: les dernières vingt minutes du film abordent une période de quatre ans, riche en tragédies, qui sera résumée sommairement. On pourrait donc faire l'hypothèse que le film dresse un portrait psychologique des deux soeurs, plutôt qu'une description des faits : erreur et damnation, une coquille ne fut jamais aussi vide. La force de la série des Tudors est la richesse de la présentation psychique des personnages : ils évoluent, se transforment sous nos yeux. Même si la véracité historique n'est pas parfaite à cause de ce point de vue, la série se défend brillamment grâce à la profondeur de ses personnages, à leur complexité.

Au final, que faire si on veut en savoir plus sur Henry VIII?

Un nombre considérable d'ouvrages est disponible, que ce soit sur Henry VIII ou les Tudors. Pour les curieux qui ne veulent pas user leurs rétines sur des pages blanches, on peut vous conseiller de vous attarder sur la série des Tudors, un maximum fidèle à la « véracité historique ». Attention, ça décoiffe : scènes de sexe très suggestives, et tortures affreusement réalistes!
Si les Tudors n'est pas entièrement parfaite pour l'histoire d'Henry VIII*, elle donne un aperçu très réaliste de l'époque.


*Par exemple, les scénaristes ont choisi volontairement de changer le nom de Mary Tudor (la soeur d'Henry) en Margaret, afin d'éviter une quelconque confusion avec Mary, la fille d'Henry.