lundi 28 février 2011

Black Swan


Un peu plus de deux ans après The Wrestler, Darren Aronofsky signe son retour avec Black Swan, un thriller psychologique – voire psychanalytique- inspiré du film "Le locataire" de Polanski et de la nouvelle "le Double" de Dostoïevski.

Nina (Natalie Portman), une ballerine de la New York City Ballet Company, commence à perdre la tête lorsqu'une nouvelle danseuse fraîchement arrivée de San Fransisco, Lily (Mila Kunis), débarque dans la troupe. La paranoïa s'installe de façon plus intense et plus effrayante lorsqu'elle décroche – pour une raison un peu nébuleuse – le rôle de la Reine des Cygnes dans la nouvelle version du Lac des Cygnes de Thomas (Vincent Cassel).

On a beaucoup insisté – que ce soit dans les reviews ou dans la bande-annonce du film – sur le fait que Black Swan est avant tout une représentation du "double" de "l'autre", des deux faces d'une même personne. Bien entendu, cette vision tient la route : Nina, le personnage principal, est rongée par l'apparition de Lily dans sa vie, à un point frôlant l'obsession morbide et la jalousie.
En devenant la Reine des Cygnes, Nina intègre parfaitement son rôle mentalement, puisqu'elle s'imagine être réellement un cygne, le Cygne Blanc, effrayé par sa rivale noire.

Le film joue énormément sur les contrastes, d'abord sur les zones d'ombres et de lumières : dans la première scène (qui est en fait un rêve), Nina danse en tant que Cygne Blanc, seule, puis, avec Von Rothbart, le sorcier qui l'a transformée en cygne. La scène est faite uniquement d'ombre (noire) et de lumière (blanche), entre les deux tendances, l'une étant le Cygne Blanc, l'autre le Cygne Noir.
Les autres nuances du film sont surtout entre Nina et Lily ; l'une est virginale, pure, vêtue de rose, de blanc, de couleurs douces et pastels, alors que l'autre est passionnée, libre, et habillée de noir.
Des symboles récurrents de ce thème du double/du contraste sont les miroirs : ils apparaissent à de nombreux moments importants du film, pour avertir le spectateur qu'on passe à une scène fantasmée ou non.
Passé un certain moment du film, la grande question apparaît : est-ce que Lily existe réellement ou est-elle le fruit de l'imagination (ou de l'exagération) de Nina?
Cette conception du double dans le film est certes intéressante, mais ne suffit pas à parler de l'histoire, parce qu'au final, ce n'est pas cet aspect dichotomique – très souvent utilisé dans le cinéma par exemple dans Fight Club – qui domine toute l'oeuvre : ce qui transcende le plus, c'est le caractère psychanalytique de l'histoire.

Quand Freud créa la psychanalyse, pour expliquer de nombreux comportements, il recourut aux mythes, qu'il revisita. Black Swan est une relecture de l'histoire du Lac des Cygnes, transposée à l'histoire de Nina : le Cygne Blanc et le prince s'aiment, mais le Cygne Noir, qui ressemble à s'y méprendre au Cygne Blanc, séduit le prince, pour empêcher le Cygne Blanc d'être sauvé par l'amour du prince. Au final, le Cygne Blanc se suicide.
Mais la psychanalyse (du temps de Freud) n'est pas qu'un ensemble de mythes, c'est également une multitude de symboles à interpréter. Et Andres Heinz, Mark Heyman, John McLaughlin et Darren Aronofsky s'en donnent à coeur joie : il y a deux grilles d'interprétation du film : la première est la psychose grandissante d'une jeune femme surmenée, exaltée et rendue folle par le rôle dont elle rêvait, et la deuxième interprétation est la perte de la virginité d'une jeune femme. Le film est entièrement codé sur base de cet évènement : la seule chose que Nina attend, c'est sa sexualité.
Dès le début du film, Nina apparaît comme asexuée : elle est maniaque du contrôle, vit avec sa mère, dort dans une chambre blanche et rose remplie de peluches. Dans la première scène du film où elle rêve de danser le Lac des Cygnes, il y a un sous-entendu sur le désir de la vierge de rencontrer l'homme, le démon, le sorcier, qui va lui enlever sa part de Cygne Blanc, d'innocence.
La seule passion à laquelle s'adonne Nina (et encore, avec une modération virginale), c'est la danse. Après l'avoir engagée pour jouer la Reine des Cygnes, Thomas lui fait même ce reproche : elle n'est capable que d'interpréter le Cygne Blanc, il n'arrive pas à la voir en Cygne Noir (qui symbolise la sensualité, la sexualité). La jeune femme commence à se consumer de l'intérieur, à tomber dans la folie, dans l'attente de l'acte sexuel, qui devrait la libérer, la transformer en Cygne Noir. Et tout au long du film, les signes apparaissent : elle connaît les préliminaires, fantasme sur l'acte, se prépare entièrement pour ce dernier, et attend, n'attend que ça. Bien sûr, la dernière scène du film symbolise parfaitement le passage à l'acte : Nina perd son innocence, sa virginité, son duvet de petit Cygne Blanc, et se transforme en Cygne Noir. Et bien sûr, comme dans toute perte d'hymen, il y a du sang.

Savez-vous que lorsqu'il composait le Lac des Cygnes, Tchaïkovski réprimait ses tendances homosexuelles et qu'on peut objectivement considérer que cette oeuvre parle des désirs interdits, tabous?
Dès la première scène où Nina aperçoit Lily, on peut comprendre qu'il ne s'agit pas que de jalousie, de haine, d'envie, mais également d'un désir foudroyant, fulgurant. Nina désire être Lily, la posséder, la pénétrer, se faire dévorer par elle. Un insatiable appétit pour le Cygne Noir. Le Cygne Blanc veut devenir le Cygne Noir, ne faire plus qu'un avec lui. C'est par Lily que la libido s'empare de Nina.
Outre le symbole de la virginité qu'on aspire à perdre, il y a l'attirance envers quelqu'un du même sexe qu'on essaye à tout prix de refouler. Ce refoulement s'exprime dans la jalousie, dans la peur que Nina éprouve vis-à-vis de Lily.

Black Swan est (peut-être) un clin d'oeil à Hollywood : au début du film, Beth (jouée par Winona Ryder) est la star, la vedette de la troupe : son visage est sur les affiches qui peuplent les murs de la New York City Ballet Company. Après la nomination de Nina dans le rôle de la Reine des Cygnes, Beth est remerciée par Thomas et doit prendre sa retraite à la fin de l'année, ce qui ne se passe pas sans encombres. L'ombre de Beth ne plane plus très longtemps puisqu'elle a un accident de voiture qui la propulse à l'hôpital. Nina, en véritable admiratrice de Beth, est touchée par la déchéance de la femme à qui elle s'identifiait.
Winona Ryder, il y a vingt ans, était une star : son visage était sur toutes les affiches.
Depuis qu'elle a eu, il y a un peu moins de dix ans, des problèmes de cleptomanie, c'est comme si elle n'existait plus pour Hollywood. Dans Black Swan, ce n'est pas la faute d'un trouble psychologique si Beth est rayée de la liste des étoiles, c'est simplement parce qu'elle est "trop vieille", qu'elle "approche de la ménopause" selon quelques mauvaises langues. A Hollywood, les actrices doivent rester jeunes et belles, parce qu'une fois qu'elles sont vieilles, il n'y a plus rien pour elles. Et même si les exceptions existent – Meryl Streep, Annette Bening, pour ne citer qu'elles – il est rare qu'une actrice puisse persister dans des rôles intéressants, dignes d'elle.

Darren Aronofsky a commencé à envisager Black Swan, en 2000. Et pourtant, la production du film ne s'est pas lancée avant 2008-2009. Si Black Swan a eu besoin d'une telle maturation, c'est dans un souci du détail, si précieux à Aronofsky. En plus, Natalie Portman s'est entraînée pendant cinq mois, à raison de six jours par semaine, pendant cinq heures, pour nous faire croire qu'elle pourrait être une vraie ballerine : le résultat est étincelant sur la pellicule : l'actrice, en plus d'être une Nina effrayée/effrayante est une ballerine gracieuse.
Black Swan est un film dans la lignée de Pi (le thème de la paranoïa, des saignements) et de The Wrestler (l'abandon de tout au profit de son art) : les films d'Aronofsky parlent souvent du fait de se sacrifier pour ce qui nous anime, que ce soit bon ou mauvais : dans Requiem for a Dream, les protagonistes se bousillent pour la drogue, dans the Fountain, Tommy ne vit plus que pour trouver un remède pour sauver sa femme plutôt que d'accepter sa mort et de passer quelques derniers moments avec elle. Dans Black Swan, Nina se laisse porter par la perspective de la représentation finale qui importe plus que tout, même si elle peut y laisser sa santé mentale, physique, son âme.
La presse a souvent évoqué le fait que Black Swan est un versant féminin de The Wrestler, ce qui n'est pas faux, mais qu'il faut nuancer : dans Black Swan, Nina est au début de sa carrière, alors que dans The Wrestler, Randy "The Ram" est un has been qui traîne son passé derrière lui. L'autre grande différence entre les personnages principaux est la suivante : Black Swan est une histoire de déconstruction, de perte de soi tandis que dans The Wrestler, Randy est en reconstruction : il se recherche, veut recoller les pièces du puzzle de sa vie. Le véritable point commun entre les films est dans leur conclusion : pour son "art", on peut aller jusque dans la mort, la souffrance n'est qu'un moyen d'atteindre la perfection.

Aronofsky éclipse sa performance de réalisateur fort discutée – à cause de sa caméra qui rend épileptique - au profit de la prestation hallucinée/hallucinante de Natalie Portman : la jeune femme porte sur ses frêles épaules (néanmoins musclées pour le film) le film, transcende parfaitement la schizophrénie, les deux cygnes. Comme il a déjà été explicité dans cet article, Portman ne se contente pas d'offrir une performance d'actrice, mais aussi, une performance de danseuse (qui a été très peu doublée) : un déploiement de grâce, de charme, d'élégance.
Pour revenir à la réalisation d'Aronofsky, elle n'est certes pas agréable, puisque les images bougent à une vitesse ahurissante, ne laissant pas le temps de reprendre son souffle, mais, est néanmoins justifiée : Black Swan est une histoire de fantasme, de désir, de folie, de perte de soi : il est donc légitime que la caméra agisse comme une dératée.
Black Swan est une fable noire bourrée de symboles psychanalytiques, entre réalité et fantasme. Et le meilleur rôle de Natalie Portman.

dimanche 20 février 2011

the social network by fincher


Pourquoi The Social Network a(vait) tout pour être un grand film :

1)L'histoire d'un génie qui fait un film génial

Bon, avec The Social Network, on ne part pas de rien : voici l'ascension d'un surdoué intellectuel et sous-doué émotionnel dans un univers ambitieux.
Aujourd'hui, tout le monde a entendu parler de facebook, même ta grand-mère, et pourtant, on ne connait pas spécialement la genèse du réseau social. Problème résolu en deux heures fascinantes de tous points de vue : même si l'histoire de Mark Zuckerberg a été quelque peu romancée, elle dégage une énergie, une curiosité qui empêche de détourner la tête de l'écran. L'histoire n'est pas linéaire, mais entre-coupée de passages de Zuckerberg en procès, histoire de rendre le spectateur impatient de savoir le fin mot de l'histoire. Des procédés cinématographiques brillants pour un personnage principal très futé qui ne laisse pas indifférent.

2)Les dessous de Harvard

Harvard a la réputation d'être la meilleure université au monde. L'établissement a également la réputation d'être constituée de la crème de la crème, le gratin des futurs diplômés, et le best of des meilleurs professeurs au monde. Mais finalement, Harvard n'est pour nous, communs des mortels, qu'une image lointaine aperçue de temps à autres dans des films, et dans la bouche de nos professeurs (James Day, si tu me lis). The Social Network n'est pas un film sur Harvard, non, sur un de ses étudiants, mais nous avons une vue globale de l'université : les « cercles » (comme nous les appelons en Belgique) sont remplacés par des fraternités, ainsi que des « final clubs » (des communautés très select pour le top du top des étudiants). Notons également que le prestige de l'université est souligné de diverses façons.
De cette petite vue d'Harvard nous retiendrons surtout la faune : entre les athlètes-gosses-de-riches qui se proclament « gentlemen d'Harvard », les geeks/nerds loseux en matière de sexe, les nouveaux riches, et les gens presque normaux qu'on ne voit pas, l'animation n'est pas rare sur le campus.

3)Une scène d'intro qui annonce tout, qui casse la baraque

David Fincher envoie la sauce dans la première scène : réalisation certes classique, mais le tournis est là : l'esthétique est à pleurer, les personnages géniaux, et on se perd vite dans les premiers mots de Zuckerberg. Et pourtant, dans ces petites cinq premières minutes, presque tout le propos du film est dit : pourquoi Zuckerberg fera facebook (mais d'abord facemash), quel est son rapport avec le monde, ceux qui l'entourent, et pourquoi il va tout foirer. « Tout foirer » que vous allez répéter en lisant cette phrase, et en ne comprenant pas pourquoi je l'ai écrite, puisque facebook pèse des milliards de dollars et que le petit Zuckerberg n'a plus aucun problème d'argent, c'est sûr. Le célèbre informaticien va tout réussir d'un point de vue professionnel, mais pour ce qui est de sa vie privée, c'est une autre musique.
La scène d'introduction de The Social Network est carrément énorme parce qu'elle nous dresse un putain de portrait du personnage principal et expose -sous forme de sous-entendus – ses motivations. C'est une mise en bouche parfaitement maîtrisée.


4)David Fincher is the master

Depuis Benjamin Button, on l'entendait de pied ferme le petit Fincher. Il faut dire que ce dernier film avait un goût de trop peu d'un point de vue scénaristique, et de trop pour sa durée; si Fincher avait été capable de créer un univers visuel dément et un romantisme agréable, il nous avait perdus dans de longues séquences parfois ou souvent inutiles.
Si l'on excepte cet opus, Fincher a foutu des claques aux cinéphiles : Fight Club puait le mal barré, le malsain, Zodiac diffusait une angoisse monstrueuse par intraveineuse, Seven pétrifiait par sa conclusion, Alien 3 était une perle rare du cinéma science-fiction/horreur, Panic Room rendait Jodie Foster différente de ses précédents rôles.
Fincher a une réputation bien établie : c'est un réalisateur doué, zélé, et prêt à prendre des risques. Des risques, il en prend dans The Social Network : et même si le film n'est pas vraiment « son » style – puisqu'il ne touche pas au film à suspens- on décèle la patte de l'américain, son talent de conteur d'images, ses plans renversants, sa capacité à dépeindre une histoire intéressante.
The Social Network a beau avoir un bien beau scénario, mais, sans Fincher, la mayonnaise n'aurait pas pris.

5)Des acteurs comme on devrait en voir plus

Jesse Eisenberg est un petit nouveau, sa filmographie n'étant pas bien grande. A part The Social Network, il n'est connu que pour avoir joué dans Adventureland et Zombieland (remarquons la redondance). Sa prestation spectaculaire a été saluée par la critique, et les nominations et récompenses pleuvent sur sa tête. La raison? Il est dément. Il devient geek, nerd, surdoué, à l'ouest, joue comme on ne joue plus : il est Mark Zuckerberg. Impossible en le voyant jouer de repenser à ses autres films tant ce dernier rôle surpasse tous les autres, efface tout pour apparaître comme une révélation : Eisenberg est un putain d'acteur.
Dans les seconds rôles, il y a beaucoup de révélations : d'abord, Andrew Garfield, le futur (nouveau) spiderman, en meilleur ami bafoué, honnête, et bien baisé dans l'histoire. Justin Timberlake, l'ancien idole des adolescentes, joue Sean Parker, et arrive à réellement convaincre dans ce rôle parano, beau parleur.
Voilà ce qui est génial avec The Social Network : un casting grandiose, parfait, aussi bien dans les grands rôles que dans les petits.

jeudi 10 février 2011

le vieux fusil


Le cinéma français peut se targuer d’avoir dans ses grands classiques un film comme « Le Vieux Fusil » : une œuvre originale, portée par une interprétation magistrale d’un feu Philippe Noiret au comble de son talent, en 1975.

L’histoire du Vieux Fusil s’inspire d’un fait historique tragique qui a fait plus de six-cent victimes dans le Limousin, en 1944, à Oradour-sur-Glane. Sur base de ce fait, une histoire a été brodée pour permettre au personnage de Noiret de sombrer dans une vengeance aussi glacée que chronométrée : au nom de son amour perdu, Julien, l’homme que Noiret interprète, se prête au même jeu que les nazis : celui de la tuerie cruelle, silencieuse, en apparence arbitraire.

Si cette première approche de l’œuvre cinématographique peut sembler limitée à la modalité du meurtre méthodique, cela ne suffit pas à rendre compte du film, qui, dans son entièreté, respire, pourtant, l’amour, la passion, la tranquillité.
La réalisation mélancolique de Robert Enrico et le montage excellent d’Eva Zora forment un duo formidable qui laisse transparaître cette existence discrète et heureuse d'avant le drame qui renversera tout.
Soulignons aussi le couple touchant formé par Philippe Noiret et Romy Schneider, qui, incarnent à l’écran, avec grâce, et sensibilité les héros tragiques d'une histoire funeste.
Le Vieux Fusil n’est pas qu’une énième histoire sur un drame de la seconde guerre mondiale, et encore moins une représentation de la vengeance chez un homme ordinaire ébranlé par des circonstances extraordinaires : le film est une ode à l’amour, une ode à Clara, la femme que Julien aime de tout son cœur. Attention, le Vieux Fusil n’est nulle tirade niaise sur les pâquerettes : c’est l’histoire d’amour de deux personnes « banales » - dans le sens où il s’agit de deux humains qui aspirent à la paix, le calme, la vie tendre – , malheureusement séparées par des évènements dramatiques et barbares.
Il y a tant d’amour dans le film, que le spectateur se sent lui-même submergé par tant d’émotions, de souvenirs trempés de mélancolie. Il est naturel, sensé, que Julien et Clara seront séparés, leur couple déchiré par un deuil carnassier qui poussera Julien à retrouver le vieux fusil, son vieux fusil, qui lui servira à éliminer chacun des salauds qui l’a privé de sa femme. Dans ces moments de vengeance, de colère, de tristesse infinie, des instants du passé surgissent et rappellent à Julien pourquoi il aimait Clara, pourquoi sa peine est démesurée, et pourquoi il est juste d’annihiler ceux qui – sans s’en rendre compte – ont abattu les murs de son bonheur.

Le film est une succession de dualités : le présent et le passé se mélangent constamment ; on passe de l’un à l’autre, d’une façon logique et structurée qui permet au spectateur de ne pas être perdu dans l’histoire. Le passé se matérialise par l’introspection de Julien, dès le moment où il imagine ce qui a pu arriver à sa bien-aimée. Le massacre qui prend suite dérive donc de l’imagination de Julien : Julien se représente, difficilement, tragiquement, ce qui a pu arriver à Clara.
Et du cadavre de Clara éclot le souhait de retrouver le vieux fusil. Mais à chaque mouvement, à chaque étape franchie, à chaque nazi tué, Clara apparaît. L’observateur externe rencontre, au début du film, en chair et en os, vivante, étincelante, Clara, qui s’anime, et qui se perd sur un arrêt sur image horrifique, avant de se réanimer, sous nos yeux ébahis, en souvenir ensorcelant, rappelant que la vie vaut la peine d’être vécue. Même dans l’absurdité de la situation – le massacre du village, de sa fille, de Clara – les images qui hantent Julien suggère que sa vie valait la peine d’être vécue, d’être consommée, d’être exaltée : à chaque coup de feu, c’est une preuve de plus qu’on a pris à un homme ce qu’il avait de plus cher : l’amour, la tranquillité.
Le tranquillité disparaît le temps d’un instant dans la vie de Julien : le temps de prendre les armes. Et finalement, elle ne se dévoile que dans des séquences souvenirs. La première image et la dernière image du Vieux Fusil sont un clin d'oeil à cette tranquillité, à ce bonheur incommensurable qu'un homme a perdu : sa femme, sa fille, leur vie de douceur, de tendresse, de calme, de bonheur. Adieu le bonheur.

Un mot peut résumer le film : Passion. La passion qui commence le jour de la rencontre entre Clara et Julien, et qui prend toute sa signification quand Julien, après avoir pleuré, et cassé quelques objets se reprend et s'abandonne à la vengeance. Nous ne quittons jamais cette passion, cette flamme éternelle qui anime l'être de Julien. Même si le personnage semble nonchalant, il est véritablement exalté par ce coup de foudre qui l'a transformé en l'époux de Clara.

Le Vieux Fusil est un film qui emporte, qui ne laisse pas de répit, qui se savoure tristement. Certaines images sont très dures, et on ne peut qu'acclamer l'ingéniosité de l'équipe des effets spéciaux, qui, pour un film des années septante, a fait dans le réaliste.
Du point de vue des acteurs, Philippe Noiret fut couronné d'un César pour son interprétation magistrale, détonante de Julien. Romy Schneider est divine, son léger accent allemand lui donnant un petit charme exotique, alors que son visage est d'une beauté resplendissante, naturelle, douce. La voir à l'écran fend le coeur tant le personnage de Clara est une mine d'or, un mystère, une déchirure intérieure qui ne laisse pas indifférent. La cerise sur le gâteau de ce chef d'oeuvre du septième art est la musique inoubliable composée par François de Roubaix, entre mélancolie et bonheur. Une ode à la tranquillité loin de l'horreur de la guerre, à l'amour simple mais passionné, à la vie. Parce que même si le Vieux Fusil est une histoire de morts, c'est également une ode à la vie, au plaisir que procure l'amour, l'être aimé.

mardi 1 février 2011

ces emmerdeurs de newbies

Nous allons aujourd'hui parler d'un phénomène observable aussi bien dans le domaine cinématographique, que dans le musical, et dans le monde geek/nerd : c'est l'apogée des newbies qui nous envahissent à coups de réflexions stupides et d'ignorance. Dans le monde du cinéma, nous avons eu droit, dernièrement, à pas mal de gros cartons, que ce soit Avatar en décembre 2009, et Inception en juillet 2010. Et ces cartons riment avec newbies : des nouvelles générations de newbies, de nouveaux so-called cinéphiles ont vu le jour. Pour le plus grand malheur des autres, nous, les vieux de la vieille.

Avatar, le « superbe » film de Cameron était une pompe à fric qui a visiblement submergé (comme le Titanic?) émotionnellement le monde entier, selon certains. Le film avait une jolie forme, mais pas de fond. Tous ceux qui ont gloussé de plaisir à la sortie de la salle en s'écriant que Cameron était au génie ce que Sarkozy était à la taille small n'ont pas vraiment révisé leurs classiques avant d'aller voir le film : en effet, si avant d'avoir vu Avatar, vous vous souveniez très bien de Pocahontas de Disney, de Terrence Malick et de son The New World, et de Dances with Wolves de Costner, l'émerveillement était moindre. Cameron traîne derrière lui de meilleurs films intemporels que Titanic et Avatar : Abyss, le second Alien, et les deux Terminator.

En définitive, Avatar a fait naître bien des passions, et Inception en 2010 a terminé le travail : même si Batman : The Dark Knight a rapporté autant de billets verts que le nouveau body slim minceur de Sanscervelleetsanscellulite, le succès de ce deuxième opus de Batman n'est pas arrivé à la cheville de la tornade Inception. Dans les faits, Inception a fait le même effet qu'Avatar niveau intensité : les spectateurs sortaient de la salle de cinéma en se demandant où était le sacrum du chat domestique, et pourquoi la toupie ne s'était pas arrêtée, ou, au contraire, avait-elle décrit un arrêt possible à la fin?! La génération de newbies nés du visionnage d'Inception avait vu avant The Dark Knight, et peut-être Batman Begins et, The Prestige, à la télévision, sans faire attention la première fois. Ils n'ont pas ressenti d'attente, début 2007, par rapport à la sortie du Prestige au cinéma. Ils n'ont vu Carrie-Anne Moss que dans Matrix ou dans Chocolat, ils ne savaient même pas (et ne savent peut-être toujours pas) qu'elle a joué dans Memento. Insomnia pourrait sembler, à première vue, pour eux, un film d'horreur. Les newbies parlent d'Inception comme le chef d'oeuvre du cinéma, mais ne savent même pas que le nom de Cobb fait référence à un personnage du film Following, préalablement réalisé par Nolan en 1998. Comment reconnaître un newbie? Il parle sans connaître.

Bref, si on passe ces deux derniers succès au box office, on peut déjà présager une future passion pour Darren Aronofsky et son Black Swan tant attendu sur le continent européen, par les cinéphiles et autres newbies incessants qui ne connaissent que Requiem for a dream (ou même pas?) et The Fountain de sa filmographie. The Wrestler peut-être pas, c'est trop violent pour les minettes minaudantes amatrices de minets. (Nous ne parlons même pas de Pi, ce film est certes trop obscur pour les newbies qui ne pourraient reconnaître les références et savourer ce petit ovni du cinéma, qui rappelle un peu Eraserhead de Lynch par son personnage masculin central en proie à la paranoïa, à la peur, à la folie)

Mais pourquoi les newbies sont-ils si insupportables? Ils parlent très fort, se voient déjà en haut de l'affiche, écrivent des choses tellement creuses par manque de savoir et étalent leur enthousiasme immodéré, parce qu'ils peuvent s'ahurir d'un rien : les vieux cinéphiles ne sont pas indifférents, insensibles, ils avaient juste prédit la potentialité d'un film, et ont appris à relativiser.

La conclusion tombe un peu comme les seins de Ginette sur son nombril : bien sûr, tout le monde passe par le stade néophyte, où on ne sait pas grand-chose d'intéressant sur la filmographie d'un auteur, mais la différence entre le vrai cinéphile et le newbie réside dans l'attitude : le petit nouveau va caqueter d'une impatience immature, ne parler que des points positifs sans prendre un véritable recul (que seul le vrai cinéphile, connaisseur, peut adopter) et pisser sur tous les sites de la toile pour nous dire qu'Hans Zimmer est le plus grand compositeur de tous les temps, même s'il n'a écouté que trois bandes originales de film faits par l'allemand.