vendredi 15 janvier 2010

whatever works



Boris Yelnikoff, sexagénaire vivant à New-York, l'illustration même de la misanthropie, ne manque jamais de réflexions désopilantes sur la vie de tous les jours, la sociologie, la philosophie, les religions : tout inspire ses monologues seul ou avec ses amis, lui qui se considère comme quelqu'un de supérieurement intelligent, qui a raté le Nobel de Physique il y a quelques années.
Sa vie palpitante mérite néanmoins l'attention du spectateur (car Boris nous interpelle) : il a divorcé il y a quelques années, a essayé de se suicider en se jetant par la fenêtre, sans succès. De cet essai peu concluant, un séjour à l'hôpital a découlé, ainsi qu'une démarche fort peu séduisante : Boris boite comme Quasimodo. Il faut toucher le fond pour remonter : Boris fait un jour, par hasard, la rencontre (décisive) de Melodie, une jeune sdf de vingt-et-un ans qui respire la fraîcheur, l'innocence et la simplicité même, l'inverse total du vieil homme, qui, finit par la laisser s'installer chez lui, pour quelques temps.
Ce qui devait arriver, arrive : Boris se prend d'affection pour Melodie, bien malgré lui, et l'épouse. Un an après leur mariage, les rencontres surprenantes ne s'arrêtent décidément pas, puisque la mère de Melodie, Marietta, véritable grenouille de bénitier, fait son entrée dans leur vie.




Complètement à l'ouest, ce nouveau Woody Allen. On en vient presque à se demander si cet opus n'est pas une compilation très extrême des personnages les plus inattendus, saugrenus que ce bon vieux Woody nous sert en une heure trente.
Déjà, Boris, est un véritable phénomène à lui tout seul, pire hypocondriaque que la Terre ait porté, vieil emmerdeur blasé ne pensant qu'à travers un filtre noir, très négatif. Il donne des cours aux enfants pour leur apprendre à jouer aux échecs, et n'hésite jamais à les insulter, eux ou leurs parents, lorsqu'il juge qu'il perd son temps avec des abrutis, incapables de comprendre et d'assimiler des stratégies. Succulent Larry David, très drôle, dans un rôle pas si facile, qui manque souvent de tomber dans le n'importe quoi - ou même la caricature - et qui ne faiblit pas, en dernière analyse. Boris arrive même à être parfois émouvant, par ses mécanismes de défense psychique lorsque, dans des situations "normales" il devrait se sentir attaqué, ou en proie à des reproches.
Melodie est jouée par Rachel Evan Wood avec ce qu'il faut de délicatesse, de pureté. Une ingénue qui perçoit le monde avec enthousiasme, optimisme... Ce qui contraste parfaitement avec son époux, Boris, qu'elle n'arrête pas de copier, dans le sens où, à son contact, elle se met à déblatérer les diverses théories du vieil homme.
Marietta vient mettre un peu de piment dans le couple, en essayant de caser sa fille avec un jeune acteur, jugeant que le vieux cynique qui culbute sa fille ne peut être pour elle, non, elle vaut mieux. La mère de Melodie, en se confrontant à Boris et Melodie, et en essayant de changer ce qu'ils sont, va se changer elle-même.

Ce nouveau film ne parle pas du cynisme, mais bien du changement d'identité, de l'évolution mentale, même lorsqu'elle semble improbable. S'il parait inconcevable qu'une vieille coincée du cul puisse devenir une artiste libérée baisant avec deux hommes, il est encore plus malaisé de considérer qu'une jeune fille sans cervelle puisse parler de la théorie des cordes. Tout ceci est peut-être improbable, mais se passe : en changeant les autres, on se change soi-même. Le milieu influence autant la personne que la personne influence le milieu.
Mais qu'on se rassure, Boris garde son mordant jusqu'à la fin, sa verve délicieusement acide, sa représentation du Monde unique. Il est intéressant de constater ce que deviennent les autres personnages, dès qu'ils entrent en relation - bonne ou mauvaise - avec lui. Celui qui ne voulait pas aider, aide.



Des critiques disaient qu'avec Whatever Works, on sent clairement qu'Allen a vieilli, qu'il ne voit plus les choses du même oeil, qu'il y a un recul différent. Sans doute, ce qui transcende cependant, c'est le fait que Boris est une version d'Allen : vieil homme avec une plus jeune (!), vision très cynique du monde, a l'impression d'être dépassé, hypocondriaque (il parait qu'Allen, à une époque de sa vie, l'était assez gravement, se rendait souvent dans les hôpitaux, comme Boris). L'histoire de Boris, c'est celle de Woody, dirons-nous.
Cette transposition du réel à la fiction est d'autant plus drôle par la façon dont les choses sont orchestrées (Par certains aspects, Boris rappelle quelques compositions d'Allen, dans certains de ses films).

Une comédie appétissante, où les répliques fusent avec virtuosité, l'ambiance reste bon enfant, la musique jazz engendre une certaine bonne humeur.