samedi 19 décembre 2009
The Departed de Martin Scorsese
Quand on s'appelle Martin Scorsese et que derrière soi on traine une carrière dont la grandeur est connue au-delà des frontières de New York (ville tant aimée par le réalisateur), la probabilité de se planter en faisant un nouveau film est très proche de zéro ; l'expérience et le talent se mêlent pour donner quelque chose qui laisse sans voix.
En 2006, The Departed (Les Infiltrés comme titre français), un film traitant de deux infiltrés, un dans l'Unité Spéciale de la police de Boston (qui est donc de connivence avec la mafia), et l'autre (celui qui est un flic qui sert la police et pas la mafia), dans le gang de Costello (le chef de la mafia irlandaise de Boston). Les deux rôles principaux sont campés avec brio par Matt Damon (Sergent Colin Sullivan, l'infiltré dans la police), et Leonardo Di Caprio (William "Billy" Costigan), l'infiltré dans la mafia.
Parmi les seconds rôles, de très grands noms : Jack Nicholson, Mark Wahlberg, Martin Sheen, Ray Winstone, Alec Baldwin.
Colin Sullivan (Damon) grandit dans le quartier du sud de Boston, et dès son plus jeune âge, est pris sous l'aile du grand mafioso Costello (Nicholson). Trouvant vite sa "vocation", le jeune Sullivan fait l'académie de police, en sort avec des résultats extrêmement bons, ce qui lui vaut de se faire engager, dès sa sortie, dans l'Unité Spéciale dirigée par Ellerby (Baldwin) qui lutte contre le crime organisé, et donc, inévitablement, contre Costello.
De son côté, William Costigan (Di Caprio) est né avec le pedigree "famille dans le crime organisé", et cherchant à affirmer son identité en s'écartant de ses gênes, va, lui, aussi à l'académie de police. Juste avant la remise de son diplôme, Dignam (Wahlberg) et son supérieur, Queenan (Sheen), chargés du service des infiltrés de l'Unité Spéciale, le recrutent pour s'infiltrer dans le gang de Costello, pensant que les origines de Costigan et sa nature bizarre vont l'aider à paraitre crédible dans le rôle de la petite frappe.
D'abord, The Departed est un film rythmé, cadencé, dont le tempo parfait permet à la fois de ne pas s'ennuyer, et à la fois de comprendre ce qui se passe avec un peu de profondeur. La musique "I'm shipping up to Boston" des Dropkick Murphys y est sûrement pour quelque chose (le groupe est d'ailleurs originaire du sud de Boston), ainsi que la réalisation menée en main de maître par Scorsese, qui sait comment doser le suspens, l'énergie, le calme, la nervosité.
Les premières minutes du film installent les deux premiers rôles, et montrent les différences claires entre les deux principaux protagonistes, qui, jusqu'à la fin du film, seront toujours comme les deux faces d'une pièce.
Le personnage de Sullivan est clairement opposé à celui de Costigan. D'un côté, celui qui parait bien, gentil, propre, mais qui en réalité est un "rat" qui manipule ses équipiers pour aider celui qu'il appelle "papa" au téléphone, tandis que de l'autre côté, nous avons un jeune homme très nerveux, qui semble en conflit avec lui-même, qui veut sans doute racheter le tas de conneries de sa famille.
La scène qui témoigne le plus de cette antithèse est lorsqu'on voit Sullivan se promener dans un appartement onéreux qu'il décide de louer, comme ça, parce qu'il a un bon salaire, alors que Costigan, lui, aucune indication n'est vraiment donnée sur son domicile bien qu'on suppose qu'il vit dans la maison de sa défunte mère.
Le contraste est d'autant plus déroutant, que tout les deux vont tomber amoureux de la même femme, une psychiatre. Leurs attitudes vis-à-vis de cette jeune femme seront indicatrices de leur vraie nature, qui est finalement moins "tout noir, tout blanc" qu'on pourrait laisser croire facilement.
Ce qui est assez drôle, c'est que Costigan devrait être Sullivan, et inversement ; comme dirait Bourdieu, on ne peut rien faire contre le déterminisme ; ainsi donc, Costigan aurait dû être l'élève de Costello, sa taupe gentiment installée dans l'Unité Spéciale, et Sullivan, n'ayant pas au-dessus de sa tête le "Destin" aurait pu être - pourquoi pas - un infiltré dans la mafia.
Le jeu des acteurs est décapant, impossible d'y rester indifférent, les personnages étant riches du point de vue psychologique.
Sullivan est l'archétype du type au beau sourire qui, est fidèle à son "père", Costello. Damon est très convaincant, et pas caricatural, ce qui est déconcertant. Quant à Di Caprio, il brille réellement dans ce film, son interprétation semble très intuitive, mais magistrale : sans doute un de ses meilleurs rôles.
Nicholson est plutôt amusant, jouant un mafioso pas très "gros dur, je te casse les noix en deux secondes", mais plutôt cynique et sadique. Avec un humour qui me rappelait un peu le Joker de Batman, en beaucoup plus pervers (ce qui colle très bien avec ce bon vieux Jack).
Par contre, le rôle le plus dingue est celui de Wahlberg, presque méconnaissable en Digman, qui jure tout le temps, et doute de tout juste avant de redire un "fuck".
The Departed c'est une leçon de style, un coup de poing. Il est évident que Sullivan et Costigan vont se chercher l'un l'autre, et comme ils sont tous les deux des as de la fuite, des mecs entraînés à raisonner, à jouer avec la psychologie des gens qui bossent avec eux, ça promet d'être incroyable.
Film surprenant, au scénario bien ficelé (Il s'agit d'un "remake" d'Internal Affairs, un film venant de là où le soleil se lève, mais d'après Scorsese, The Departed ne s'en inspire que partiellement), avec des acteurs incroyables, des scènes qui coupent le souffle, et une fin d'un cynisme tordant.