George A. Romero est au cinéma d'horreur ce que David Lynch est au bizarre. Quoi qu'on puisse penser actuellement en matière de cinéma horrifique, pour comprendre le genre, il faut revenir aux prémisses. En 1968, George Romero et quelques amis produisent et tournent un film qui aura un écho mondial : Night of the Living Dead. Au lieu des séduisants Dracula présentés auparavant, le film donne un nouvelle dimension aux morts-vivants : il les présente comme lents, « bêtes » mais voraces, amateurs de chair fraîche. Le film fait également un clin d'oeil à la guerre du Vietnam qui décime la jeune génération. Le style Romero est né : une ambiance oppressante, une musique à glacer le sang, des morts « réalistes » qui veulent manger les quelques vivants restants, et un message politique derrière. Dawn of the Dead a été tourné entre la fin 1977 et le début 1978, pour être présenté la même année. Le film est considéré comme un must, un classique du film d'horreur traditionnel. Alors que Night of the Living Dead était un film à (très) petit budget, Dawn of the Dead a coûté plus de six-cent-mille dollars, pour en rapporter plus de cinquante millions! Le succès du film est manifeste, tout comme la trilogie des morts-vivants de Romero, qui a été refaite de nombreuses fois, sans jamais égaler l'originale (dernier exemple en date : Day of the Dead, nouvelle mouture).
1978, une station de télévision de Philadelphie. Le chaos retransmis à la télévision ébranle Steven, le conducteur d'hélicoptère et Francine, son amie enceinte. Tous deux décident d'utiliser l'hélicoptère pour partir, loin de la menace zombie qui prolifère comme les bactéries dans l'air ambiant. Le couple est rejoint par Roger et Peter, deux membres d'équipes SWAT. Le quatuor, en pleine recherche d'essence, tombe sur un centre commercial où ils décident de se réfugier. Le centre commercial étant peuplé de quelques zombies, les hommes se chargent de les éliminer, et dans leur hâte, Roger est mordu. Malgré ce détail, les quatre protagonistes décident de rester dans ce lieu, persuadés qu'ils ont tout ce qu'il leur faut pour survivre.
Quand on demande aux gens s'ils connaissent Dawn of the Dead, ils répondent « ah oui, le film avec des zombies et les gens dans le centre commercial, avec comme message de fond la société de consommation ». Ce résumé fort trivial – mais vrai – suffit parfois pour certains individus, qui ne voient pas plus loin que « société de consommation ». Dans les années septante, les centres commerciaux pullulent partout, les deux chocs pétroliers ont beau avoir affaibli économiquement les USA, les comportements de consommation sont encouragés et multipliés. Les quatre personnages du film qui utilisent d'abord le centre commercial comme un lieu de refuge, deviennent « accros » à ce que ce dernier leur procure, et finissent par même être emprisonnés à l'intérieur de celui-ci, avec de moins en moins de contacts extérieurs. Ce qui peut sembler le rêve pour les dingues du shopping se révèle un cauchemar à l'état pur : les protagonistes sont enfermés dans la consommation, dans l'opulence vulgaire. Assez de fusils pour tuer la population de l'Arkansas, assez de vestes pour vêtir les habitants de New-York, assez de matériel en tout genre pour subvenir mille fois à ses propres besoins, Peter, Steven et Francine sont submergés par le centre commercial qui – en définitive- les possède. Comme Goldman chantait « j'ai pris les choses et les choses m'ont pris ». Il n'y a pas que les vivants qui sont attirés par le centre commercial : les zombies le squattent avant d'être tués, puis, ils arrivent en masse aux portes, chaque jour plus nombreux. A la fin du film, ils déambulent dans le centre commercial, comme si tout était normal, comme dans leurs anciennes vies, comme les gens font encore aujourd'hui, comme des victimes de la société de consommation. Les zombies et les humains ne diffèrent pas sur ce point : tout le monde est martyr de la mondialisation, de l'économie. Nous faisons en théorie la société, mais en pratique, c'est elle qui nous fait.
Même si le centre commercial est un enfer à part entière, le pire est toujours à venir : les films de Romero sont construits de la sorte : il s'agit d'une situation exponentiellement fatale, en construction perpétuelle. Il y a toujours un mouvement qui veut faire sortir, et donc, en conséquent, qui fait entrer les morts et leur permet de se nourrir des vivants, de façon abominable, gore. Pour la partie gore, Romero a pu compter sur le coup de pouce de Tom Savini, le maître du maquillage et des effets spéciaux*. Le spécialiste a même un rôle anecdotique dans le film.
Dawn of the Dead est un chef d'oeuvre du film d'horreur, qui joue sur les émotions, la peur de la solitude (car même si les personnages sont à quatre, puis à trois, ils restent seuls survivants dans un océan de zombies), l'absurdité de notre propre existence. Romero voulait, originellement, qu'à la fin de son film, tous les vivants meurent : au final, Peter, le noir, et Francine, la femme, sont les seuls survivants, même si le film s'éteint sur leur échange concernant le peu d'essence qu'il reste.
Car, en plus d'avoir un message politique, les films de Romero ont toujours une sorte de morale : les seuls qui peuvent survivre sont les vertueux, comme Peter et Francine, qui ont été les moins tentés par la société de consommation, et les risques non-nécessaires (qui mènent Roger et Steven à la mort).